Lone wolf and cub

Publié le 3 novembre 2024 à 15:02

Aujourd’hui, je vais m’essayer à une tâche relativement compliquée : faire en sorte de vous vendre que vous AVEZ BESOIN de lire Lone Wolf and Cub. Compliquée parce qu’on parle ici d’un manga des années 70, composé de quelques 8381 pages et dont l’intégrale coûte dans sa version la moins dispendieuse la bagatelle de 384€.

Pari impossible ? Voyons cela.


Lone Wolf and Cub (ou Kozure Okami en VO) est un manga à 4 mains prépublié entre 1970 et 1976 au sein du Weekly Manga Action de la Futabasha. Il compte dans sa version originale 28 tomes réunis dans une massive intégrale de 12 tomes d’environ 700 pages chacun. C’est simple, j’hésitais entre aller à la salle et lire l’intégrale de Lone Wolf and Cub et devinez quel fut mon choix.

Les auteurs sont KOIKE Kazuo au scénario et KOJIMA Goseki au dessin. Le premier est un auteur à succès ayant à son palmarès des séries aussi populaires que Lady Snowblood ou Crying Freeman et ayant formé des auteurs à succès tels que HARA Tetsuo (Hokuto no Ken), HORII Yuji (le papa de Dragon Quest) ou encore TAKAHASHI Rumiko (Ranma ½, Urusei Yatsura Maison Ikkoku…). KOJIMA lui a été assistant de SHIRATO Sanpei sur Kamui Den. Carrément, non content d’avoir été le dessinateur de la plus grande fresque dessinée sur les samurai, le mec aura été assistant sur la plus grande fresque dessinée sur les ninja. Je pose ça là comme ça.

L’histoire nous montre pourtant qu’avoir des personnes de talent ne suffit pas toujours pour assurer une œuvre de qualité. Maintenant que la table est dressée, voyons si ce qui se trouve dans les assiettes est digne des cuisiniers aux commandes.



Lone Wolf and Cub c’est une histoire d’amour et de haine. On y suit les pas d’OGAMI Itto, samurai incroyablement doué au combat et doté d’une moralité palpable pour qui aura pu croiser son chemin sans être dans la continuité de son katana. Car oui, cet homme bien qu’irréprochable avec le commun des mortels est surtout un assassin implacable qui fera tout en son pouvoir pour arriver à ses fins une fois le contrat accepté. La subtilité de ce tableau qui n’aura pas échappé au plus anglophones d’entre vous est que cet assassin implacable n’est pas seul puisqu’il est accompagné de son fils Daigoro, âgé de 3 ans au début de l’œuvre. D’ailleurs, le loup solitaire met son fils à disposition pour qui le souhaite (« sabre à louer, fils à louer » peut-on lire à quelques reprises dans le manga) et n’hésites pas à s’en servir pour arriver à ses fins. Ce fils qui est souvent présenté par les ennemis de notre anti-héros comme son point faible se révèle bien souvent être un atout majeur plutôt que le boulet que chacun de nous serions, tout adulte que nous sommes. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir Daigoro sauver son père ou lui ouvrir une route qui lui aurai été fermée sans cela. Certains chapitres suivent d’ailleurs les pas de Daigoro livré à lui-même.

Lone Wolf and Cub, c’est aussi un némésis que je ne dévoilerai pas ici car son introduction n'apparait qu’au tome 2 et je ne souhaite pas ici vous gâcher la découverte. Ce némésis est à la hauteur avec une personnalité bien construite, un charisme certain et des capacités intellectuelles et martiales permettant de contrebalancer les qualités de notre héros.

Ainsi, plusieurs éléments ici nous montrent à quel point la construction est efficace. Que peut bien lier notre héros, ronin solitaire, assassin à cet ennemi si puissant ? Qu’est ce qui a pu mener notre héros à la moralité si développée et à la lame si assurée à devenir assassin ? Ces questions trouveront réponse au fur et à mesure de l’œuvre mais l’intérêt restera le même de la première à la dernière page.

Comment cela me direz-vous ? Comment nos compères arrivent-ils à maintenir notre intérêt intact tout au long des plus de 8000 pages de l’œuvre ? Et bien c’est ce que je vous propose de voir tout de suite.


Voici notre héros prie en tenaille par des agresseurs peu conciliants.


Avant toute chose, si vous avez bon goût et que vous avez roulé pas mal votre bosse dans le monde du manga et ce depuis assez longtemps (ça fait beaucoup de conditions !!), peut-être connaissez vous HIRATA Hiroshi. Ce dernier est un expert du gekiga, un auteur spécialisé dans les Jidai mono, les récits de samurai basés sur des faits réels récupérés par l’auteur au sein des différentes préfecture tout au long de sa vie. Et bien Lone Wolf and Cub, c’est tout l’inverse. Totalement inventé, souvent over the top et certaines fois mêmes totalement impossible, l’auteur nous raconte une histoire et nous le savons. Aussi, il est finalement assez peu intéressant de se poser des questions sur l’inévitable fin de l’œuvre que sur le chemin parcouru pour y arriver.

L’œuvre se présente, comme beaucoup de manga de l’époque, comme un bête « ennemi de la semaine ». Pendant un temps. On suit les pérégrinations de notre ami le tueur à gage qui mène à bien ses contrats. Une fois de temps en temps, et de plus en plus souvent au fur et à mesure que l’œuvre avance, nous avons le droit à divers flashbacks éclairants ou à des avancées significatives dans l’entreprise de nos héros. Le tout se réparti de manière très fluide et si d’aventure le côté répétitif des contrats du héros pointe le bout de son nez, l’auteur arrivera à caler un chapitre « fil rouge » qui rebattra les cartes. Que l’on soit clair, c’est la deuxième fois que je lis ce pavé (ou plutôt cette palette de parpaings) et je ne me suis jamais ennuyé. Pas une seconde. Pas une page. Pas une case.


Admirez la clarté de l'action et le dynamisme de la case. Du grand art.


Venons-en aux cases justement. Si j’ai été relativement évasif sur le dessin jusqu’ici, c’est parce que je ne pouvais me permettre de l’évoquer à la va-vite. C’est que ça se respecte la qualité mon bon monsieur. Ici, nous avons droit à un dessin forcément marqué de son époque, je m’explique. Avez-vous remarqué une subtile différence entre le dessin des années 70 et celui d’aujourd’hui ? Non ? Consultez au plus vite pour vos yeux qui manifestement ne sont pas tournés vers l’extérieur de votre crane. Si oui, vous vous rendrez bien compte qu’entre Sakamoto Days ou Dandadan par exemples (2 œuvres que j’aime beaucoup par ailleurs) et Lone Wolf and Cub, un océan peut être inséré tant on est éloigné. Lone Wolf and Cub, c’est l’art du réalisme dépouillé et du crayonné précis. KOJIMA dessine suffisamment pour que tout soit clair mais ne mets pas trop de détails pour que les mouvements soient facilement lisibles. Une partie des pages ont clairement été dessiné au pinceau et cela renforce l’aspect œuvre d’art de l’ensemble. Les personnages sympathiques le semblent, nous détestons les gens fourbes et nous ne pouvons que saluer le courage de ces hommes prêt à mourir pour des idées. De ce côté, le manga comporte son lot de clichés mais n’est ce pas ce que nous cherchons en consommant une œuvre sur les samurai de la période d’Edo ? En ce qui concerne les femmes dans l’œuvre, nous pouvons noter qu’elles sont globalement minoritaires mais que celles qui sont présentes sont fortes et dignes de bravoure que notre protagoniste principal sera le premier à honorer. C’est à noter et à saluer.

En un mot comme en cent, je salue le talent de KOJIMA qui réussit le défi de faire en sorte que la moitié des cases de ce manga soient potentiellement assez belles pour être extraites pour devenir des images d’illustration. Croyez-moi, je n’ai jamais eu autant de facilité à extraire des images intéressantes de l’œuvre pour illustrer mes propos.

Au-delà des scènes de combat, les auteurs savent nous montrer des moments de vie ordinaires, que ce soit pour nos protagonistes qui se nourrissent, jouent, passent de village en village. Ces scènes sont d’ailleurs l’occasion pour KOJIMA de nous montrer les paysans, pécheurs ou autres prostituées qui vivent leur vie. Ces moments de réel apportent de la fraicheur et un sentiment de calme entre deux tempêtes.


Un instant de complicité père fils, vite dérangé par un retour à la réalité aussi impromptu que le moment était fugace.


Deux mots à propos de l'édition actuellement disponible dans le commerce, la perfect edition de Panini. Comme dit plus haut, nous avons droit à 12 pavés d'au minimum 700 pages chacun. Magnifique couverture respectant l'œuvre originale avec le titre du manga en kanji et un petit cartouche avec le titre en lettre romaine. En dessous de cette couverture, on trouve une couverture cartonnée avec embossage du titre garni de vernis sélectif brillant. Le papier est très épais, aucune transparence avec des scans de haute qualité. Pas de page couleur malheureusement ce que je trouve dommage puisqu'il y en avait dans le magazine de prépublication. Cependant, les pages initialement en couleurs (je suppose qu'elles étaient peintes à l'aquarelle) rendent très bien malgré l'absence de couleur. Enfin, un mini dossier documentaire est présent à chaque fin de tome et apporte des éléments très intéressants sur l'œuvre ou sur l'époque concernée par le manga. L'écrin est donc magnifique, pas parfait mais presque et en tout cas à la hauteur de l'œuvre qu'il contient et vous saurez où vont les 32€ que coûte chaque tome. Ouch. C'est légitime mais ouch.

 

Attention cependant, les beaux livres de 700 pages, c'est beau, ça présente bien et ça évite de se lever 15 fois dans l'heure pour aller chercher le tome suivant (oui OKU Hiroya, c'est toi que je regarde) mais ça pèse son poids. La logistique aura donc son importance ici.

Au final, que dire de ce manga ? Il s’agit pour moi d’un chef d’œuvre, d’une œuvre incontournable maitrisée du début à la fin et où chacun des monstres à l’œuvre ici a pu profiter des forces de l’autres pour sublimer les siennes. Ce manga n’a pas volé son statut d'œuvre culte et je ne peux que le recommander à tout le monde qui aura le bon goût de lire ce site. C'est pas dur, je viens de me faire l'intégral et si ma pile à lire n'était pas si haute, je repartirai du début dès demain. Oui. C'est CE niveau de qualité. 


Par Xxiooup

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